Cela fait plusieurs années maintenant que l’on assiste à des débats sur l’équitation, sur la peur de certains de voir un jour sa pratique interdite. Mais plutôt que de s’en inquiéter, ne devrait-on pas plutôt y voir l’opportunité de faire changer les pratiques? Sommes-nous prêts à changer notre manière de monter à cheval? Lorsque l’on parle d’améliorer le bien-être des chevaux, il s’agit très souvent de bien-être physique et/ou physiologique. Le domaine psychologique est malheureusement peu évoqué ou de manière très sommaire, et pourtant quel rôle déterminant! Peut-on réellement prendre soin du corps sans se soucier de l’esprit?
Depuis 2020, un terme anglais a enfin fait son entrée au Larousse, le mot « sentience », définit ainsi: « Sentience (du lat. sentiens, ressentant) : pour un être vivant, capacité à ressentir les émotions, la douleur, le bien-être, etc. et à percevoir de façon subjective son environnement et ses expériences de vie. » Ce terme permet enfin de nommer chez les êtres-vivants sans distinctions tout ce qui jusqu’à maintenant n’était réellement associé qu’à l’humain.
Une telle avancée me touche d’autant plus que mon approche des chevaux a toujours été basée sur la prise en compte des ressentis, des émotions, de la réflexion, de la pensée et de l’intelligence du cheval. Mon objectif est d’en faire des partenaires qui prennent plaisir dans nos échanges, qui puissent interagir avec moi, me faire des propositions, et mon devoir est de les accompagner pour leurs permettre d’entrer dans ce dialogue. Quand j’aborde un cheval, je commence par l’observer, m’imprégner de ce qu’il me renvoie, est-il heureux, en colère, effrayé, …? Il y a une multitudes d’émotions chez eux, parfois très complexes. Pour que la séance soit vécu positivement par le cheval, on ne peut pas ignorer ce qu’il ressent. On doit commencer par le « lire », par écouter ce qu’il nous « dit ». Avant chaque séance il y a ce temps d’échange nécessaire pour que l’on puisse se mettre ensemble, que nous quittions nos quotidiens respectifs pour pouvoir nous relier le temps d’une séance que nous partagerons en prenant plaisir à vivre cet instant.
Combien de chevaux ne veulent pas se laisser attraper au pré? Combien tourne le dos à leur cavalier lorsqu’ils aperçoivent la selle? Même si le message est « silencieux », je crois qu’il ne peut pas être plus clair. Mais combien de personnes en tiennent compte? Combien se remettent en question face à ces refus que les chevaux leurs renvoient? Malheureusement pas assez, d’autant qu’accepter qu’un cheval nous dise « non » peut nous renvoyer à nos faiblesses, à nos difficultés, faire naître des doutes. Beaucoup de cavaliers préfèrent ainsi ne pas en tenir compte, continuer à pratiquer sans prêter attention à ce que leurs chevaux tentent de leurs faire remarquer, pour pouvoir continuer à se faire plaisir sans trop de culpabilité. Et les chevaux prennent alors sur eux… ou pas, et là les difficultés arrivent. En refusant de tenir compte de leurs ressentis on les pousse à s’introvertir, à taire leurs émotions, à se fermer à nous. Et lorsqu’il y a des conflits avec le cavalier, certains deviendront muets quitte à ce que la souffrance devienne physique alors que d’autres se rebelleront et rentreront en bagarre contre l’humain. Tout ça parce que l’on n’aura pas voulu tenir compte de ce qu’ils peuvent ressentir.
Accepter qu’un cheval puisse avoir des émotions et lui permettre de les exprimer est pourtant le premier pas vers de nouveaux échanges, une relation saine et harmonieuse, un lien de complicité fort. Le plus dur est de reconnaître que l’on puisse faire des erreurs et de choisir de les corriger, et les chevaux ont cette force de toujours nous les pardonner. Très souvent nous n’aurons même pas à chercher ce que nous devons faire, juste à nous ouvrir à eux et à accueillir ce qu’ils auront à nous dire. Bien sûr cela voudra peut-être dire renoncer à certaines choses que son cheval n’aime pas, ou trouver comment les adapter pour lui. C’est une aventure si belle et si riche à partager avec eux que très vite le regard que nous portons sur les chevaux et l’équitation s’en trouve changé, et que pour rien au monde on ne souhaite ensuite revenir en arrière…